Mémoire musicale
Joli début de semaine. J’ai du exclure un élève pour insultes racistes, collé une classe entière très solidaire dans la bêtise, rédigé trois rapports, séparé deux élèves qui s’arrachaient les cheveux. Accepté les excuses du premier qui n’a jamais voulu me regarder dans les yeux.
Je pense que j’ai largement mérité ma plage musicale. Cette année j'ai fait des progrès, j'arrive (presque) à oublier, en tous cas à ne plus porter, toute la souffrance de mes élèves sur le dos une fois sortie du lycée.
Allez je vous emmène faire un petit voyage dans les cordes qui ont rythmé mon enfance.
Mon père joue du saz:
C'est un instrument qui fait partie de la famille des luths à long manche. La cité de la musique le présente très bien sur son site. Mais j'ai piqué la photo sur le site de Mahmut Demir, excellent musicien parisien dont je vous recommande l'écoute.
J'ai préféré ne pas prendre de photo de l'instrument de mon père parce que tout touchant qu'il soit, il n'est pas du tout représentatif: mon père l'a bricolé à sa convenance et lui a même percé un trou supplémentaire sur le bidon parce qu'il n'aimait pas son son. J'ai un papa très original. Et un brin tyranique. En tous cas en matière de musique.
Mon père a appris à jouer en autodidacte de cet instrument qui représente, dit-on, l'âme anatolienne et l'esprit de résistance (il est brandi comme une arme contre la tyrannie par les Alévis). Je n'étais pas encore née et mes parents vivaient alors dans ce petit village anatolien où ils ont fait leurs premières armes en tant qu'instituteurs. Mais je vous ai déjà parlé de ce village enfoui sous les neiges dans mes Ricochets.
Pendant toute mon enfance, mon père a insisté comme un fou pour que je reprenne son instrument et la mémoire des chants populaires qu'il chantait sans cesse. J'ai, de ce fait, une excellente culture des Ashik (littéralement amoureux au sens de bardes), ayant été bercée par des chants d'Asik Mahzuni Sherif , De Musa Eroglu, ou de Ruhi Su, bardes que tous les Turcs connaissent.
Parce que je suis une gentille fille, et que ces chants me touchaient ("Les eaux du (fleuve) Drama sont froides, chantaient Ruhi Su, on ne peut en boire une tasse": Drama Köprüsü) j'ai essayé... Mais mon père, cet excellent insituteur des enfants des autres s'est révélé, pour sa propre fille, un horrible pédagogue impatient et d'autant plus intraitable que lui-même avait appris tout seul. Bref, j'ai renoncé, et à mon humble avis, j'ai bien fait.
De toutes façons fanfaronnai-je, le saz a un son grêle que je n'aime pas, moi je préfère le oud, plus oriental, plus sensuel.
- Le oud ! S'est exclamé mon père, cet instrument des bourgeois d'ottomans !
Mon père, comme beaucoup de Turcs que je connais, ne peut s'empêcher de mettre de la politique, de la lutte des classes, et de la guerre d'indépendance (1919 quand même...) un peu partout. Alors j'en suis restée là pendant de longues années. Mais ce n'est pas fini.
Avant de raconter la suite, je vous laisse savourer un poème de Nazim Hikmet, parlant de la lutte et du courage des femmes pendant la guerre d'indépendance (1919, encore...) et chanté par Ruhi Su (au son du saz, bien-sûr). Je l'ai entendu des centaines de fois pendant mon enfance, et récité le poème lors des très officielles fêtes nationales de mon école primaire stambouliote. De la mémoire nationale bien gravée...
Ruhi Su - KADINLARIMIZ
Vidéo envoyée par sefil