Des Temps et des Vents, Yumurta, de la vie de la mort et des films qui m'interpellent
Le magnifique film Des Temps et des Vents ( Beş Vakit) de Reha Erdem m’a mise en colère.
Je m’interroge. Est-ce le fait que les personnes que le réalisateur a plongé au sein de d’une poésie et d’une beauté incommensurable sont incapables de les voir qui fait naître en moi une sourde angoisse qui se transforme bientôt en colère ? Ou bien encore comme une idée qui nous ferait accepter que la poésie de ce monde est forcément insupportablement triste, voire mortifère ?
Le film Des Temps et des Vents Bes Vakit en turc, cinq temps comme le nombre de prières rythmant la journée suit les journées de trois enfants vivant dans un village adossé aux collines bordant la mer Egée. Une nature âpre et lumineuse, le souffle du vent, l’immensité changeante du ciel rendent encore plus insupportables le malheur infligé par les pères aux fils les mères aux filles, et encore plus lourdes la culpabilité éprouvée par les uns comme par les autres.
Et lamer est toujours vue au loin comme un horizon qui pourrait laver tout ça, mais n’est jamais approchée. C’est aussi de détermination que parle ce film, chacun des personnages ayant plus ou moins conscience (ou l’apprenant avec douleur) qu’il ressemble à s’y méprendre à son père où qu’il lui ressemblera, mais que toujours persistera cette violence entre les pères et les fils. Cela m’a fait penser à Lebrac, le jeune garçon de la Guerre des Boutons que ma fille a vu avec délices la semaine dernière et qui disait avec plus de légèreté à la toute fin du film « Et dire qu’on sera aussi cons qu’eux quand on sera grands ».
Les photographies fabuleusement belles où le réalisateur met en scène les enfants endormis enfouis dans le minéral ou le végétal comme ici
m’ont à la longue fait violence, elles m’obligeaient à voir la mort, omniprésente dans le sommeil des enfants. J’ai eu du mal à supporter, je suis une incorrigible écorchée. (d'autres photos ici sur Première )
Presqu’aucune légèreté en tous cas aucun humour dans ce film où il s’agit de concrètement tuer le père, l’un des enfants, le fils de l’imam qui sait aussi bien dire l’appel à la prière que son père et qui passe son temps à imaginer des stratagèmes pour le faire passer de vie à trépas (encore, oui, décidemment tous les films que je vois ne parlent que de la mort du père, bien que si je suis le schéma catégorique donné par Reha Erdem, je devrais en femme être en train d’imaginer ma mère… je suis bien contente de ne pas avoir emmené ma fille voir ce film avec nous comme c'était d'abord notre projet... je ne voudrais pas retrouver un scorpion dans mon lit cet été... ;-)
C’est un film violent dérangeant lancinant mais qui vaut vraiment la peine d’être vu, Des temps et des Vents, pour un peu il me ferait encore changer mes projets pour cet été, et encore une fois dédaigner la Méditerranée pour la si belle mer Egée, et ce d’autant plus que je reconnaissais les lieux du tournage.
Pas de père non plus dans Yumurta (l’œuf), l’autre film turc que j’ai vu cette semaine et qui passe encore dans quelques salles. Yumurta est un peu moins réussi sur le plan esthétique que Des temps et des Vents (j'aurais jamais du les voir à la suite...), pourtant il est lui aussi filmé en contrée égéenne mais on s’approche plus de la grande ville ici, puisque nous sommes à Tire, plus loin de la mer. D’ailleurs c’est un lac qu’a choisi de filmer le réalisateur. Cela veut bien dire ce que ça veut dire. Je l’ai trouvé plus profond, moins systématique ce film, et si je continue à la comparer je crois que je l'ai préféré à Des Temps et des Vents, mais c'est une question de sensibilité probablement. Les deux sont réussis. J'adhère totalement à lacritique de Evène. Ce film aussi parle d’une certaine difficulté à vivre et d’une incapacité à être heureux, mais il est bien plus porteur d’espoir, d’ailleurs il commence et se termine avec un œuf. Dans ce film aussi un même questionnement sur la disparition, le temps, son ralentissement parfois nécessaire. C’est l’histoire d’un bouquiniste d’Istanbul qui est contraint de revenir dans la maison familiale suite au décès de sa mère. Il y retrouve là une lointaine cousine qui s’occupait de sa mère les derniers temps et qui lui rappelle un rituel que sa mère souhaitait accomplir avant sa mère et dont la tache retombe donc sur le fils. Dans un premier temps Yusuf refuse, puis… il boit du thé, et encore du thé. C'est un film qui donne soif. Plus sérieusement, la culpabilité d’abord et une quête intérieure silencieuse. Je n’en dirai pas plus, je ne vois pas pourquoi je parlerai plus que ces deux films qui sont tout aussi disert l’un que l’autre… Allez donc lentement boire un verre de thé que vous aurez fait d'abord infuser de longues minutes.
J'ai beaucoup apprécié les silences et le bruit de la cuillère touillant le thé dans ce film contrairement à la musique d'abord belle mais franchement trop présente d'Arvo Pärt qui vous entortille les tripes dans Des Temps et des Vents.
(J'ajoute quand même que dans Yumurta j'ai trouvé l'acteur Nejat Isler, très. Oui point, ça suffit: mon mari lit parfois ce blog. Si je me souviens bien il, (Nejat Isler, pas mon mari !) avait déjà un petit rôle (le filc) dans De l'Autre côté de Fatih Akin ).
Rassurez-vous l'humour existe aussi dans le cinéma turc. La semaine dernière, lors du festival du cinéma turc organisé au cinéma l’Entrepot j’ai vu des films turcs qui parvenaient à traiter de sujets graves comme par exemple Beynelmilel (L’Internationale en français : la traversée tragi-comique des temps troubles du dernier putsch militaire de 1981 par une troupe de musiciens de rue) , mais apparemment ceux-là sont beaucoup moins distribués en Europe. A croire que l’humour est, soit plus difficile à traduire (donc moins international ?) soit moins primable que le lyrisme et les tourments existensialistes ? Quelque chose là-dedans m’agace un peu, de la même manière que j’avais été agacée par la tournure esthétisante qu’avait pris le cinéma iranien au milieu des années 90. En tous cas, ces deux films suivent la même veine lyrique, il me semble que le cinéma de Nuri Bilge Ceylan dont mon blogami Valclair avait beaucoup aimé Les Climats. Moi je préfère Fatih Akin, beaucoup plus énergique, débordant, bouillonant, et beaucoup moins français et organisé que Reha Erdem qui a fait ses études à Paris 8. C'est peut-être tout bonnement ma mauvaise foi, je concède: il fait trop beau pour les tourments, déjà que je lutte, bref... trop française ! Ah cette fichue manie des étiquettes !
Cela dit je constate que moi-même j’ai pris le temps d’écrire sur ces deux films alors que je n’avais rien dit sur Beynelmilel. …
(Je me réserve pour Takva. )