Faire les courses sans porc
Ca
va, ça va. Maintenant mieux. Plus de courses au Kâfour le samedi avec Deniz.
Alors ça va. Les courses ensemble, c’est la dispute. Deniz s’énerve, Ada pleure et on se reparle
pas avant dimanche. Quand je lis les étiquettes des paquets de
biscuits, il crie. Comme si t’y comprends quelque chose, il dit avec le caddie.
Il m’abandonne en plein milieu du rayon gâteau ou pâtes. Après il faut les
retrouver, obligé de courir jusqu’aux œufs ou même aux lessives. Et ça l’énerve
beaucoup. Une fois, j’ai retrouvé le caddie abandonné en plein milieu des fromages.
Ada pleurait dedans. Deniz était allé fumer à la cafétéria pour se calmer. Et
je pouvais même pas expliquer. Lui dire pourquoi je lis les étiquettes ?
Pas possible ! Il explose de rage. Mais moi je fais comment après pour
servir les biscuits à Emine ou Hayriye ? Elles viennent l’après-midi à la
maison pour boire le thé. Ces sorcières
elles comprennent rien mais pour retrouver écrit «graisse d’origine
animale » dans les ingrédients elles sont championnes. Elles n’ont que ça
à faire ma parole. C’est cet imbécile d’imam,
il leur a appris. Lui aussi il n’a que ça à faire. N’achetez pas de
viande dans les supermarchés, il dit, ce n’est pas halal, vous commettriez des
péchés, ne consommez pas les produits des gavur, ils mettent du gras de cochon
partout, exprès pour l’enfer. Une fois elles ont demandé le paquet de
biscuits au chocolat que j’avais vidé pour elles sur ma belle assiette à
service. Obligée je retourne le chercher dans la poubelle. Elles ont fouillé de
leurs yeux sournois qui ne savent même pas lire le turc tous les mots étrangers
des ingrédients. Voilà, voilà, tu vois ! Elles ont crié. Elles ont trouvé les mots maudits sur le
paquet. Nous n’en mangeons pas, elles ont dit en se tordant le nez … la honte
de ma vie, pire qu’un adultère ma parole. Obligée j’ai fait un gâteau au yaourt
sous leurs yeux. Comme des truies elles ont mangé. Elles ont mis du bon
gras végétal avec leurs gros doigts sur les verres à thé. Inshallah cela suffit
à leur fermer leur sale bec !
Expliquer
ça à Deniz, comment ? Pas possible ! D’abord il injurie les voisines,
ensuite il crie sur moi, vire-les à coups de pied au cul ces arriérées,
il dit. Facile… Et les autres Turcs ils disent quoi ? Ils nous montrent du
doigt ma fille et moi comme quoi on mange du cochon ?