La bave du chien
Le neveu de mon mari est un adolescent dans la fleur de l’âge ingrat et par dessus le marché il a une chienne du nom de Rita. Je n’ai pas l’habitude des animaux, même domestiques, et c’est avec méfiance que j’accepte ses tentatives de rapprochements, ses demandes de caresses et sa queue qui bat joyeusement l’air. Je ne supporte pas l’idée qu’elle puisse me lécher et c’est avec un léger dégoût que je vois couler sa salive au sol quand nous sommes à table. Elle attend ostensiblement que nous lui jetions quelque chose. Sa bave forme des bulles aux commissures de sa gueule et des flaques à nos pieds. Je me lave les pieds au savon. Pourtant c’est moi qui ai proposé de l’emmener avec nous dans la maison que nous avons louée au bord de la mer. Officiellement parce que je la plains d’être coincée dans l’appartement de ma belle-mère à Izmir avec un jeune maître égoïste qui la promène une fois l’an. J’insiste pour que Mert la sorte au moins une fois par jour. Comme il craint de le faire seul en raison des chiens abandonnés des rues d’Izmir, je me force à l’accompagner même tard le soir. Officieusement, je me soupçonne de m’être attachée à cette grande bestiole souple aux grands yeux tristes et qui tire comme une furie sur sa laisse quand on l’emmène le soir courir sur le front de mer à Izmir.
Le soir, la chienne accueille ma belle-sœur qui rentre du travail en ondulant de tout son corps jusqu’au bout de la queue. Il vaut mieux éviter ses coups de queue, pire que cinglants. Elle se redresse de tout son long et pose ses pattes sur ses seins. Elle essaie de lui lécher le visage. Ma belle-sœur proteste pour la forme. Toute cette bave ! Pouah. Cela me fascine que Dilek puisse la laisser faire. Moi je la caresse du bout des doits, juste entre les oreilles. « C’est ainsi que j’aime », dis-je à la cantonade, un peu froidement et de loin. D’un coup je rougis, j’ai l’impression d’entendre ma belle-mère penser à son fils.