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Iles où l'on ne prendra jamais terre
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28 septembre 2006

Subtilités et ramadan

Dieu qu'il est difficile de parler d'un jeune de banlieue et de ses difficultés en étant subtil et sans tomber dans la caricature. Dieu qu'il est difficile de maîtriser son propos quand tout est interprété et sur-interprété. Quand tout un chacun se sent visé par le moindre propos que l'on croyait anodin. On rame un peu avec notre spectacle, il faut le  dire.

C'est éprouvant cette double vie, j'ai un peu de mal à suivre.
Je n'ai pas une minute à moi entre répétitions et lycée. Le manque de sommeil s'accumule aux trajets en train, aux heures passées à essayer de maîtriser ses émotions, poser sa voix, sa voie, aux prises de becs avec notre metteur en scène.
Comme si cela ne suffisait pas. Le Ramadan est là. Je hais ce mois où les élèves se vautrent dans la fatigue et dans une solidarité factice.

J'ai beau être croyante et musulmane. Cela m'énèverve de plus en plus. Le mot religion ne veut plus du tout dire "relier". Il enchaîne.

Je ne supporte pas l'idée que des élèves, voire des collègues d'origine nord-africaine n'aillent pas à la cantine pour éviter le regard des autres.
Moi j'aime bien la cantine en ce moment parce qu'elle est vide.. il n'y a plus de queue à faire.

Je n'ai jamais été autant en paix avec moi-même et mes démangeaisons mystiques.

Mes élèves me posent des questions, je me sens tenue de sortir de mon sacro-saint devoir de réserve face à tant de demandes. Je ne peux pas esquiver. Je reste avec eux pendant la récréation pour répondre. Déjà pour leur dire qu'ils ne devraient pas la poser cette question. Que j'admire et respecte ceux qui ont décidé de faire le jeûne. Mais que moi je ne leur poserai jamais cette question. Parce que nous ne sommes pas là dans cette classe pour ça. Qu'ils ont un bac à passer. Et que dormir un mois durant affalé sur la table va rendre la tâche difficile. Qu'il ne faut pas tout mélanger non plus. Que c'est bien, si jeûner les rend plus fort, plus serein, plus tolérant, plus ouvert, plus sensible à l'autre. Autrement, je n'en vois pas l'intérêt.

Vous êtes maquillée, Madame, vous ne faites pas le Ramadan.
Oui je suis maquillée. Oui suis musulmane. Sunnite. Non je ne jeune pas. Non ce n'est pas par faiblesse.

Ils ne m'ont jamais écoutée avec autant d'attention. Et de respect... ou bien je rêve ? Je prends mes désirs pour des réalités ?

J'en veux aussi à cette société aveugle et inhospitalière qui pousse ces jeunes à vouloir se faire accepter et s'affirmer par des voies dangereuses et qui exluent "l'autre". J'ai peut-être tort mais je ne parviens pas à voir dans ce mouvement de ramadan chez mes élèves juste un regain de foi. C'est bien plus subtil que ça. 

Je vous encourage aussi à lire ce qu'un directeur d'école primaire pense de la question. Mais j'attends que le recteur de la mosquée de Paris rappelle aussi ces choses pourtant évidentes.


Au fait, je suis en grève aujourd'hui, et je vais manifester. Parce que je crois. En l'éducation et la réflexion.
Et parce qu'un mois après la rentrée, 4 classes n'ont pas encore de prof de français dans notre lycée. Et que les effectifs par classe sont de plus en élevés. Oui tout est lié.

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Commentaires
J
toutes les rleigions sont mortifères et prônent le sacrifice, la privation, l'abstinence<br /> a l'opposé de toute démarche hédoniste<br /> le plaisir sacrifié sur le trône d'une foi castatrice<br /> Quelqu'un a-t-il réfléchi sur ce thème et pourrait-il m'apporter des éléments de réflexion contribuant a meiux charpenter ce début d'argumentaire<br /> je pense que Michel Onfray a du aborder cette thématique mais je n'ai pas retrouvé de travaux afférents à ce sujet<br /> le ramadan est-il réellement et textuellement prescrit dans le Coran ou n'est ce qu'une lecture parmi tant d'autre ?<br /> merci de votre aide à tous
A
Merci pour tes précisions fort intéressantes Dominique. Je me disais bien que j'avais une approche fortement politique de la religion !
D
Voyons, voyons... Dès qu'on lie une signification contemporaine à une étymologie supposée, je me dis qu'il y a un os caché, c'est le cas de connaissance que certains voudraient voir comme une co-naissance. Et c'est le cas pour religion dont l'origine est controversée. Ce sont les premiers auteurs chrétiens à la suite de Lactance qui ont rattaché ce mot à religare (relier) avec re- intensif, d'autant que religio a eu le sens de dépendance, soumission. Mais Cicéron évoquait lui religere (recueillir, récolter) avec re- de retour en arrière ; ce verbe est très rare en latin. Cette hypothèse est aussi celle de Benveniste. La religion comme lien social, c'est une idée du christianisme. Pour les Romains, c'est le soin, le scrupule, le souci, la ferveur (du fils, du citoyen), sans aucun lien explicite avec le sacré. Mais il y a eu deux mille ans de discours depuis...
A
Bloguette<br /> Merci de ton soutien. Parfois je doute quand même...<br /> <br /> ...et Perle, <br /> Bizarrement ça me réconforte de lire que l'intégrisme n'est pas toujours chez les mêmes. Mais j'avoue, c'est très très bizarre comme sentiment. (et je n'en suis pas vraiment fière..;-) Bon courage pour ta rentrée qui a l'air aussi mouvementée que dans notre lycée.
A
Bonjour Scheiro, <br /> Tu as raison ce n'est pas évident, mais j'ai fait du chemin, je crois, car je n'aurais pas pu parler de religion (ma religion) aussi sereinement "avant". <br /> C'est vrai que c'est compliqué, mes élèves ne comprennent pas tout ce que je leur raconte, mais ce qui est important à mes yeux c'est que par ces échanges je peux leur proposer une autre manière (pas un modèle hein..) de vivre sa religiosité, à eux qui justement tombent facilement dans l'intransigeance de leur jeunesse. <br /> En fait, je crois que j'ai de la chance d'avoir pour eux une image particulière. Il me semble que je dois m'en servir.
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