Subtilités et ramadan
Dieu qu'il est difficile de parler d'un jeune de banlieue et de ses difficultés en étant subtil et sans tomber dans la caricature. Dieu qu'il est difficile de maîtriser son propos quand tout est interprété et sur-interprété. Quand tout un chacun se sent visé par le moindre propos que l'on croyait anodin. On rame un peu avec notre spectacle, il faut le dire.
C'est éprouvant cette double vie, j'ai un peu de mal à suivre.
Je n'ai pas une minute à moi entre répétitions et lycée. Le manque de sommeil s'accumule aux trajets en train, aux heures passées à essayer de maîtriser ses émotions, poser sa voix, sa voie, aux prises de becs avec notre metteur en scène.
Comme si cela ne suffisait pas. Le Ramadan est là. Je hais ce mois où les élèves se vautrent dans la fatigue et dans une solidarité factice.
J'ai beau être croyante et musulmane. Cela m'énèverve de plus en plus. Le mot religion ne veut plus du tout dire "relier". Il enchaîne.
Je ne supporte pas l'idée que des élèves, voire des collègues d'origine nord-africaine n'aillent pas à la cantine pour éviter le regard des autres.
Moi j'aime bien la cantine en ce moment parce qu'elle est vide.. il n'y a plus de queue à faire.
Je n'ai jamais été autant en paix avec moi-même et mes démangeaisons mystiques.
Mes élèves me posent des questions, je me sens tenue de sortir de mon sacro-saint devoir de réserve face à tant de demandes. Je ne peux pas esquiver. Je reste avec eux pendant la récréation pour répondre. Déjà pour leur dire qu'ils ne devraient pas la poser cette question. Que j'admire et respecte ceux qui ont décidé de faire le jeûne. Mais que moi je ne leur poserai jamais cette question. Parce que nous ne sommes pas là dans cette classe pour ça. Qu'ils ont un bac à passer. Et que dormir un mois durant affalé sur la table va rendre la tâche difficile. Qu'il ne faut pas tout mélanger non plus. Que c'est bien, si jeûner les rend plus fort, plus serein, plus tolérant, plus ouvert, plus sensible à l'autre. Autrement, je n'en vois pas l'intérêt.
Vous êtes maquillée, Madame, vous ne faites pas le Ramadan.
Oui je suis maquillée. Oui suis musulmane. Sunnite. Non je ne jeune pas. Non ce n'est pas par faiblesse.
Ils ne m'ont jamais écoutée avec autant d'attention. Et de respect... ou bien je rêve ? Je prends mes désirs pour des réalités ?
J'en veux aussi à cette société aveugle et inhospitalière qui pousse ces jeunes à vouloir se faire accepter et s'affirmer par des voies dangereuses et qui exluent "l'autre". J'ai peut-être tort mais je ne parviens pas à voir dans ce mouvement de ramadan chez mes élèves juste un regain de foi. C'est bien plus subtil que ça.
Je vous encourage aussi à lire ce qu'un directeur d'école primaire pense de la question. Mais j'attends que le recteur de la mosquée de Paris rappelle aussi ces choses pourtant évidentes.
Au fait, je suis en grève aujourd'hui, et je vais manifester. Parce que je crois. En l'éducation et la réflexion.
Et parce qu'un mois après la rentrée, 4 classes n'ont pas encore de prof de français dans notre lycée. Et que les effectifs par classe sont de plus en élevés. Oui tout est lié.