Ta place dans l'institution tu porteras
La classe de 2nde BEP mécano entre dans la salle 312. 24 garçons entre 15 et 17 ans. Bruyamment comme d’habitude. C’est la classe la plus hostile à laquelle je n’ai jamais eu à faire face. Mais aujourd’hui contrairement à leurs habitudes qui les fait superbement ignorer cette prof qu’ils n’ont qu’une heure le vendredi en dernière heure de cours, ils me regardent. Ou est-ce mon malaise qui invente l’insistance de leurs regards ? Aujourd’hui l’élève Z. n’est pas là. Il ne viendra plus : exclu par conseil de discipline. Les élèves savent que j’ai témoigné lors de ce conseil et que mes paroles et mes rapports ont fait pencher la balance du mauvais côté. Je les sens vindicatifs. Je le savais, c’est pourquoi j’ai modifié complètement la disposition de la salle et préparé un travail de groupe pour brouiller leurs repères habituels. Ils s’installent. Ils rigolent même en trouvant leurs noms sur les tables. Ma stratégie semble avoir fonctionné. Pour le moment.
Obligée de le faire de suite car une surveillante va passer très vite, je fais l’appel, en évitant le nom de Z. On me le fait remarquer :
- C’est à cause de vous que Z n’est pas là aujourd’hui » brave Y dont le nom précède celui de l’exclu.
Il fallait que ça sorte, je le savais, je ne peux ignorer les paroles de Y, tous attendent.
- Non, dis-je, c’est à cause de lui-même et tu le sais.
Je fais une seconde de pause, une seule, en regardant Y droit dans les yeux - les autres nous regardent, puis j’enchaîne tout de suite.
- Nous commençons une nouvelle séquence aujourd’hui.
Ils n’insistent pas, je ne leur en laisse pas l’occasion, je n’ai qu’une heure avec eux et je sens confusément que la parole ici n’arrangerait rien. Je leur projette de suite une photo. Très choquante. Nous étudions les décolonisations, les photos choquantes ne manquent pas. J’ai mis longtemps à choisir celles que je projette au début du cours pour faire émerger la problématique de la séance. Instinctivement j’ai choisi une photo violente. Après coup je m’interroge et je grince : je tente de faire passer la violence par la violence.
Ce conseil de discipline a été pour moi d’une violence insupportable. Je peine à faire passer un amer gout d’échec.
L’heure se termine, sans heurts. J’ai réussi à les faire travailler. Je suis épuisée. Je me sens dépassée.