Poser sa voix
Quelle bizarre impression que celle de parvenir encore et toujours à un carrefour infranchissable. J’arrive dans le théâtre. Je pose à peine mes deux sacs : l’un rempli de copies d’élèves, l’autre de mes habits de rechange pour ce week-end de répétitions.
Je suis sur scène avec sur le sur le dos le rôle d’une improbable fille de banlieue. Mince !
Ma voix transperce ma gorge. Dedans se cache Younès, toujours lui, mon élève de terminale que nous venons d’exclure trois jours et dont l’absence distille sur mes cordes vocales le poison du doute.
Il y a aussi sûrement les reliefs de ma dernière conversation avec mon mari. Je n’arrive pas à parler turc en ce moment. C’est étrange. Mes voix se confondent, réveillant chez lui des interrogations à mille lieux de mes doutes à moi, mais que je ne parviens pas – et pour cause- à exprimer.
Ma voix se perche de nouveau. Je ne sais que faire de toutes ces émotions qui m’aiguisent. Je tremble. Le metteur en scène me dit qu’il ne comprend pas pourquoi je me prends la tête avec la hauteur de ma voix. Les scènes s’enchaînent. Mes compagnons de jeu dansent une scène pour dire l’exclusion. Eux non plus n’ont pas trouvé les mots. Mais ils parviennent malgré tout à signifier.
Je dors d’un sommeil agité.
Je suis salle 23. Les élèves travaillent sur une carte des décolonisations. Je me concentre. Mon cerveau et ma voix, encore elle, se livrent leur guerre d’indépendance.
Une heure plus tard, la même salle. Je lis un texte de M. Duras. Les élèves ne comprennent pas la phrase « J’avais des obligations envers moi-même » ou quelque chose comme ça.
J’explique. Rationalise. Je rassemble les morceaux épars. J’ai mal à la gorge.
Dans le métro, ma voix se pose tout à coup : je peste et dis un gros mot. Comme une adolescente.