Forêts de Wajdi Mouawad
Au secours! Auriez-vous dans vos tablettes quelque chose de léger, léger, aérien et serein pour me faire sortir des sombres forêts où je me suis perdue ?
Je suis en effet entrée dans les obscures Forêts de Wajdi Mouawad au théâtre 71 à Malakoff.
Difficile de raconter ce que j’ai vu, tant les histoires se confondent, se mélangent se répondent se conditionnent les unes les autres.
C’est une pièce bizarre, qui part dans toutes les directions de l’horreur à la fois. Comme une pensée qui se ramifie, une pensée qui prenant la fuite vers un ailleurs, un camp de concentration, puis une forêt touffue et protégée, se trouve confrontée à elle-même. Un spermatozoïde qui serpente et se plante dans d’improbables ovaires, ou dans un cerveau, exactement là où il ne faudrait pas aller.
J’ai passé quatre heures de plongée dans les tréfonds de mon âme, faisant partie d’une horreur universelle, où les Atrides parlaient aux déportés des camps, me donnant envie de fermer les yeux.
Cette pièce est bien difficile à résumer, je laisse donc Wajdi Mouawad la présenter : (texte extrait du site: www.theatre-contemporain)
"Si l’on veut une histoire, Forêts est peut-être le
récit de six femmes qui, suite à un événement qui s’abat sur la plus
jeune d’entre elles, font brutalement face à l’incohérence de leur
existence. Cette plongée forcée à laquelle elles auraient bien voulu se
soustraire se fera par l’entremise d’un paléontologue amené en 1946 à
se rendre avec une équipe de scientifiques dans un des camps de
concentration pour tenter de ramener du néant ce que l’on a voulu y
précipiter. Chacune de ces femmes verra sa raison mise en pièce puisque
là, dans les cendres humaines de cette innommable douleur,
irreprésentable, elles déchiffreront, abasourdies, les traces et le
futur de leur destinée.
Forêts …
Forêts…
Forêts…
Mais si l’on veut vraiment une histoire, on peut aussi dire qu’il
s’agit du récit d’une désertion : quittant le champ de bataille en
1917, un soldat ; Lucien Blondel ; se réfugie au coeur d’une forêt. Là,
traversant une rivière étrange et obscure, serpentant au milieu des
arbres, il découvre un zoo où quatre femmes vivent au milieu des
animaux sauvages . Au coeur de ce paradis improbable, Lucien
rencontrera Léonie avec laquelle il vivra une histoire d’amour sans se
douter que leur union sera, à l’image de ce siècle, le théâtre de
douloureuses déchirures.
Forêts…
Forêts…
Forêts est peut-être l’histoire de cette femme, en 1989, qui apprend
qu’elle est atteinte d’un mal incurable son cerveau étant dévoré par
une tumeur.
Forêts…
Forêts…"
(lire la suite ici)
C’est une pièce imparfaite, que l’on peut critiquer à bien des égards, dans l’accumulation des horreurs, dans la gratuité de certaines scènes réalistes de violence ou de sexe. Mais je ne le ferai pas, car justement je crois que c'est cette imperfection qui s'est infiltrée dans les failles de mon esprit, et qui deux jours après n'en finit pas de tenter de reconstituer le puzzle, de donner un sens à toute cette horreur. C’est une pièce qui s'immisce en vous, ne laisse pas indifférent.
Pour faire passer tout cela, il fallait une mise en scène fortement maîtrisée, et des comédiens impeccables habités. Si j'ai bien compris, la pièce a été écrite en cours de répétition, avec ces comédiens. Ce qui explique peut-être les ramifications loin de la raison et du cours tranquille d'une pièce raisonnable. Avec d'autres comédiens ou une autre mise en scène à mon avis, ça ne peut pas marcher, c'est bien trop chaotique.
Je suis sortie du théâtre les joues ravagées, la pensée confuse, me demandant s’il était bien sensé de se cramponner au fil d’espoir donné vers la fin de la pièce pour combattre l’horreur, celle du cancer, de sordides faits divers dans le Québec d’aujourd’hui, d’Auschwitz, des tranchées de Verdun, des utopies qui portent en elles la noirceur de l’âme humaine, des incestes, des familles étouffantes et mortifères.. Face à tout cela, un seul espoir : l’amitié.
Je ne sais pas pourquoi, je n’y ai pas cru à cette bouée de sauvetage de notre monde. Même si j’aurais bien voulu.
Une autre critique ici.