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Iles où l'on ne prendra jamais terre
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22 octobre 2006

Langue maternelle et amour

Il y a quelques jours Gaspard me demandait si le fait de parler une autre langue faisait de nous quelqu’un d’autre. Au moment où on la parle, veux-je dire.
Je me suis souvent posé cette question, sans jamais réussir à y répondre vraiment. Ou plutôt en y apportant des réponses différentes et contradictoires selon le temps, le contexte, ce que je vivais, ce que je lisais...
Il y a quelques années, quand j’ai épousé mon doux compagnon, ma réponse était très nette. Oui quand je parlais turc, je devenais autre.
Quand je parlais turc, les choses devenaient plus simples, les sentiments plus évidents, l’engagement plus facile. Avec lui, mes mots -turcs- coulaient de source, impossible de partir dans des « prises de tête » inextricables, à disséquer nos sentiments, nos enchaînements, nos balbutiements.
J’avoue que cela m’a laissée longtemps perplexe. Pourquoi ce que je ne parvenais pas à faire avec des compagnons francophones –m’engager simplement, faire confiance,  était-il si simple avec lui ? Cela avait-il à voir avec mes représentations les plus profondes ? Un lien avec le fait que ma mère m’avait bercée, aimée en turc ? Ce que je devais de fidélité à mes parents ? Pourquoi n’étais-je pas parvenue à aimer en français ?
Dans mes moments de dénigrement, je me disais méchamment que je n’étais pas capable de m’embrouiller avec lui, tout simplement, parce qu’il faut bien le reconnaître je ne sais pas entrer dans des complexités psychologiques en turc. En gros je manque de vocabulaire.
En fait, je n’ai jamais vraiment cru non plus à cette explication.
L’autre explication c’était de me dire qu’au fond, le turc étant une langue très carrée, ce qu’il engendrait ne pouvait que l’être aussi.
Mouais. Pas très convaincant non plus. Et puis cette explication risquait d’être un peu emprisonnante pour mon compagnon, et géométriquement appauvrissante pour notre relation.  Heureusement je m’en suis aperçue à temps.

Et puis il y a quelques temps, Salime, encore elle, mon double, mon miroir, m’a mise dans un pétrin dont je ne me suis pas encore extraite.

Je continuerai demain, là ça commence à être un peu long et je vais être ne retard à ma répétition. Demain, je l'espère, j'arriverai à expliquer pourquoi je fais un détour par ma copine aux foulards en soie sur la tête pour  démêler les fils qui m'attachent à ma langue "maternelle"..



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Commentaires
A
Merci Scheiro pour ces références sur lesquelles je me pencherai sûrement dès la semaine prochaine !
S
"Il est vrai que la pensée d’un individu est, au moins en partie, dépendante des langues qu’il connaît, et en particulier de leurs précisions. Ce que l’on appelle « apprendre une langue », c’est la création d’une série de liens entre signifiants (mots) et signifiés (concepts). Si un signifiant est absent (si nous ne connaissons pas l’existence d’un mot), alors le signifié (le concept exprimé par ce mot) pourra être absent aussi. Mais il n’y a aucune implication forte entre la pensée et la langue, ni dans un sens, ni dans l’autre. Il est possible d’oublier la signification d’un mot, et il est possible de ne pas trouver un mot correspondant à un concept que l’on a en tête."<br /> <br /> Il faut que tu t'intéresses à l'hypothèse dite Sapir-Whorf, Ada, tu y trouveras de quoi alimenter ton questionnement.<br /> http://fr.wikipedia.org/wiki/Hypoth%C3%A8se_Sapir-Whorf<br /> <br /> De plus, cet article cite Siblot, Vérine, Détrie d'excellents profs de praxématique - c'est eux qui sont à l'origine de ce courant linguistique - que j'ai eu en cours ;-)
D
Prenons un exemple simple comme celui des Caréliens. Ils parlent en fait le finnois ou le same, exactement comme leurs cousins de Finlande. On leur interdit donc de communiquer avec eux en faisant une langue à part dans un autre alphabet. Le parlement tatar voulait employer l'alphabet latin turquisé afin de communiquer avec les autres peuples turcs, le gouvernement et le parlement russes ont interdit cette réforme pour cette république qui n'a d'autonome que le nom.<br /> http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/Europe/russie-4pol-lng.htm
G
... mais je suis intrigué par la phrase "on interdit un autre alphabet que le cyrillique dans la Fédération de Russie, contre l'avis des populations qui pourraient en utiliser un différent." si vous pouviez developper ...<br /> bon, les russophones utilisent le cyrillique, normal, non ? et les autres ? les tchouvaches, les tchouktes, ou que sais-je ? ont-ils plus de raisons d'utiliser un alphabet latin ou arabe, qu'un alphabet cyrillique. ???
D
Il faut quand même rappeler que la Novlangue d'Orwell est inspirée de deux choses : a) le Basic English (un anglais de 750 mots, formalisé en GB dans les années 30 et qui est ensuite à la base de toute l'informatique, ce grâce à quoi nous communi quons, ce qu'a utilisé Turing !) b) les expériences staliniennes pour faire du russe la langue universelle par sa simplification (avec comme corollaire la persécution de l'esperanto qui avait été d'abord promu dans les années 20). C'est donc la réforme du vocabulaire par la réduction des mots en commençant par ceux qui s'opposent. Le but est le contrôle de la pensée, mais on ne peut pas comparer exactement la Novlangue avec la réforme de l'alphabet en Turquie. Le point de comparaison, c'est les errements de toutes les populations soviétiques ou des pays proches (pensons à la Moldavie, la Roumanie, la Mongolie, la Ruthénie) entre plusieurs alphabets. La valse a continué encore ces dernières années : je rappelle que l'on interdit un autre alphabet que le cyrillique dans la Fédération de Russie, contre l'avis des populations qui pourraient en utiliser un différent.
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