Langue maternelle et amour
Il y a quelques jours Gaspard me demandait si le fait de parler une autre langue faisait de nous quelqu’un d’autre. Au moment où on la parle, veux-je dire.
Je me suis souvent posé cette question, sans jamais réussir à y répondre vraiment. Ou plutôt en y apportant des réponses différentes et contradictoires selon le temps, le contexte, ce que je vivais, ce que je lisais...
Il y a quelques années, quand j’ai épousé mon doux compagnon, ma réponse était très nette. Oui quand je parlais turc, je devenais autre.
Quand je parlais turc, les choses devenaient plus simples, les sentiments plus évidents, l’engagement plus facile. Avec lui, mes mots -turcs- coulaient de source, impossible de partir dans des « prises de tête » inextricables, à disséquer nos sentiments, nos enchaînements, nos balbutiements.
J’avoue que cela m’a laissée longtemps perplexe. Pourquoi ce que je ne parvenais pas à faire avec des compagnons francophones –m’engager simplement, faire confiance, était-il si simple avec lui ? Cela avait-il à voir avec mes représentations les plus profondes ? Un lien avec le fait que ma mère m’avait bercée, aimée en turc ? Ce que je devais de fidélité à mes parents ? Pourquoi n’étais-je pas parvenue à aimer en français ?
Dans mes moments de dénigrement, je me disais méchamment que je n’étais pas capable de m’embrouiller avec lui, tout simplement, parce qu’il faut bien le reconnaître je ne sais pas entrer dans des complexités psychologiques en turc. En gros je manque de vocabulaire.
En fait, je n’ai jamais vraiment cru non plus à cette explication.
L’autre explication c’était de me dire qu’au fond, le turc étant une langue très carrée, ce qu’il engendrait ne pouvait que l’être aussi.
Mouais. Pas très convaincant non plus. Et puis cette explication risquait d’être un peu emprisonnante pour mon compagnon, et géométriquement appauvrissante pour notre relation. Heureusement je m’en suis aperçue à temps.
Et puis il y a quelques temps, Salime, encore elle, mon double, mon miroir, m’a mise dans un pétrin dont je ne me suis pas encore extraite.
Je continuerai demain, là ça commence à être un peu long et je vais être ne retard à ma répétition. Demain, je l'espère, j'arriverai à expliquer pourquoi je fais un détour par ma copine aux foulards en soie sur la tête pour démêler les fils qui m'attachent à ma langue "maternelle"..